Confinement

Une haie de lierre au travers d'une fenêtre

Le monde depuis ma fenêtre.

C'est la fin du confinement [1] qui débuta le 17 mars 2020, pour une durée de 55 jours.

Ce sont 55 jours soumis à de fortes restrictions sur les déplacements, 55 jours avec ma compagne en télétravail, 55 jours à ne plus sortir que pour le strict nécessaire, 55 jours à ne plus dépenser dans les sorties, les bars, le cinéma, les restaurants et bien d'autres choses. 55 jours sans voir les copains, ou m'occuper de mes clubs sportifs. [2]

Je suis un privilégié dans cette histoire, et je ne crois pas pouvoir mesurer pleinement ces privilèges. Mon métier n'est pas à risque, ma santé n'est pas vraiment menacée, et que dire du luxe de ma terrasse ou de mon accès fibre à Internet ? J'ai la vie facile, aujourd'hui comme hier, et ce n'est donc pas vraiment ce dont j'ai envie de parler.

Je n'ai pas envie de parler des soignants, des éboueurs, des caissières, des préparateurs en entrepôt, des ouvriers de France et du monde, ou des livreurs toujours en première ligne. Je ne sais pas ce qu'ils vivent, et rien de ce que je pourrais dire ne pourrait sonner autrement que faux, hypocrite, voire même condescendant. Je peux dire que je suis inquiet, et que je me sens franchement idiot et incapable, face à une situation qu'il m'est difficile d'appréhender complètement.

55 jours en commun

Vous vous souvenez de Pokémon GO ? Moi oui, mais pas pour le jeu lui-même. Il faut dire qu'en soi, il n'y avait pas grand chose à faire : se déplacer, activer les pokéstop, capturer des pokémons, marcher, attendre, et recommencer. Rien d'exceptionnel pour un jeu en 2016. [3]

Ce qui m'avait frappé à l'époque, et ce qui me fait m'en souvenir, c'est qu'il s'agissait d'une expérience collective, partagée par l'ensemble de la population. Un peu comme peut l'être Star Wars ou Game of Thrones : tout le monde y a été exposé, d'une façon ou d'une autre. Ce sont des sujets de conversations "normaux", c'est à dire que vous n'allez pas surprendre vos interlocuteurs si vous amenez le sujet sur la table. [4]

Avant Pokémon GO, je n'imaginais pas possible l'idée de discuter de Pokémon en public sans passer pour un excentrique ou un gamin. Je n'ai pas vraiment de problème avec ça, le regard des autres ne m'affecte pas là dessus, ça ne veut pas dire qu'il n'existe pas. Lors de la sortie de Pokémon GO, pourtant, et très soudainement qui plus est, il est devenu normal de parler de Pokémon, d'être excité à l'idée de capturer telle ou telle créature fictive dans un petit jeu mobile, parfois même normal d'en être fier !

Le changement qui s'est opéré à ce moment là, ce n'est pas moi qui me suis conformé à une norme sociale, mais les autres qui s'en sont libérés. En abaissant cette barrière cela a élargi le champ des interactions possibles, parce qu'il n'y avait plus à avoir peur de passer pour un enfant ou un geek. Contrairement à l'habitude, je n'ai pas eu à m'aligner sur le monde extérieur, c'est le monde extérieur qui s'est aligné avec moi. [5]

Je suis un introverti, et plutôt casanier de surcroît, et je télétravaille depuis bientôt 6 ans maintenant. Cette impression d'alignement avec mon monde, c'est un peu ce que j'ai ressenti avec ce confinement : soudainement, rester chez soi et s'occuper à la maison deviennent des expériences partagées, communes. Partagées et pourtant indépendantes, parce que vécues chacun dans son coin, à la fois connectés et isolés que nous sommes.

Tout le monde n'est pas comme moi (duh), et nous avons tous vécu cette période différemment. Certains n'ont pas cessé de sortir pour aller travailler, d'autres ont cessé complètement le travail, de leur gré, ou contraint par les circonstances. Je n'ai pas fait mon propre pain, et je n'ai pas eu le temps d'apprendre 50 nouvelles compétences, je n'ai pas eu de crise d'angoisse, je n'ai pas non plus été terrorisé de devoir aller au bureau ou de perdre mon job.

Reste que mes collègues savent maintenant ce que c'est que de n'avoir comme canal de communication que la visio et l'écrit. Il n'y a plus de décisions prises à la machine à café, il n'y a plus de débat qui commence en ligne et se termine dans un couloir. Tout se passe exactement au même endroit pour toute mon équipe, avec les mêmes contraintes.

Si notre perception et notre ressenti est différents, les expériences sont similaires, et il est plus facile de se sentir connecter aux autres, de se sentir appartenir à un groupe. Si ce n'est pas quelque chose que je recherche particulièrement, c'est quelque chose que je sais apprécier à sa juste valeur.

Quartier vivant

Si de nombreuses restrictions ont été mises en place pour ce confinement, cela n'a pas rendu impossible les sorties à l'extérieur : le but était de limiter les possibilités de contacts entre les gens, et donc la propagation du virus [6] et non pas de forcer les gens à mourir de faim chez eux. En France, nous avons donc eu l'obligation d'utiliser des attestations indiquant la raison et l'heure de notre sortie. Nous nous sommes relayés pour faire les courses, ma compagne et moi, je suis donc sorti moins d'une dizaine de fois au total, en passant par le même chemin, et pour la même raison. Hors, à chaque fois, j'ai été surpris par le nombres de gens dehors, surtout lorsque je sortais vers 17 ou 18h.

Je ne sais pas pourquoi les gens étaient dehors. Sans doute avaient-ils leurs raisons, et je ne suis personne pour me permettre de questionner la légitimité des uns et des autres. Qui revenait du travail ? Qui sortait ses enfants pendant la petite heure autorisée ? Qui allait faire ses courses, ou bien avait simplement besoin de sortir pour ne pas devenir fou ? Je ne porte pas de jugement là dessus, je ne suis pas à la place des autres, et je ne prétends pas pouvoir l'être.

Ma surprise provient plutôt qu'il s'agissait de mon voisinage, des gens que j'avais déjà vu plusieurs fois dans l'année auparavant. C'est à dire que là, pour une fois, les rues de mon quartier étaient vivantes. Les gens sortaient, mais ils n'allaient pas loin. Ils restaient dans le quartier, dans leur rue et celles adjacentes. Ils prenaient possessions de lieux qui sont, pourtant, dans leur quotidien depuis longtemps. Je n'avais pas vu tous ces gens dehors, en même temps, au même endroit, et pourtant je sais que j'en croise déjà la plupart le reste de l'année. Il y a ces voisins que j'ai vu devant la porte de leur garage, il y a ces voisins qui rentrent tard le soir après une fête, il y a ces voisins qui font leurs courses aux mêmes endroits que moi, ou que je croise dans les mêmes restaurants. Il y a ceux que j'ai vu emménager l'année dernière, ceux que j'ai vu recevoir une livraison, ceux qui passent au marché du mardi matin.

Avec cette surprise vient son lot de questions : puisqu'il est évident que les gens ne sont pas apparus magiquement dans le quartier, puisqu'ils habitaient déjà ici avant, pourquoi n'étaient-ils pas aussi visibles ? Pourquoi les gens qui se baladent et flânent dans la rue et que je vois passer devant ma terrasse tous les jours en cette période de confinement, ne passaient jamais par ici avant ?

Bizarremment, cela me rappelle aussi Pokémon GO : à l'époque, je me souviens d'article parlant d'urbanisme, de la ville, des rues, des détours que l'ont prend pour jouer, et de la découverte (ou redécouverte parfois) de son propre quartier. J'ai cette impression qu'avec ce confinement, et la restriction des balades à 1 km de chez soi, les gens sont forcés d'être là, dans leur quartier, de croiser leurs voisins.

Paradoxalement, avant ces 55 jours, je n'avais jamais vu autant de gens dans les rues de mon quartier. Quelque part, j'aimerais bien qu'ils continuent après.

Notes

[1]Premier ? L'avenir nous le dira !
[2]Le club d'escrime auquel je tire, et celui où je donne des cours de sabre laser artistique.
[3]Najat Vallaud-Belkacem veut interdire les Pokémon rares à l’école, parce que oui, l'actualité politique de l'été 2016, c'était aussi ça.
[4]Je ne dis pas que vous n'allez pas ennuyer tout le monde avec votre opinion sur l'épisode IX de Star Wars, ou bien sur la saison 8 de Game of Thrones, mais au moins les gens comprendront globalement de quoi vous voulez parler.
[5]Je prends grand soin ici de parler d'alignement, et pas de niveau : il n'y a pas de hiérarchie entre ce que j'aime, et ce que les autres aiment. Je n'oppose pas non plus les goûts ou les valeurs, ce n'est pas mon propos.
[6]Le Coronavirus expliqué & Ce que vous devez faire sur la chaîne de Kurzgesagt